La naissance ou l’émergence du phénomène universitaire est un élément fondamental de la construction du monde médiéval occidental et de sa structuration intellectuelle. S’il y a un avant et un après, il n’y a pas pour autant de rupture. D’une certaine manière, la reconnaissance des universités est plus celle d’une série d’états de fait, différents d’un lieu à l’autre. En revanche, une fois constituées, autant dire institutionnalisées, leur poids dans l’évolution du monde médiévale sera considérable.
D’une certaine façon c’est l’institutionnalisation de ce qui lui précède qui va lui donner une aura et une influence déterminante sur la construction d’un nouveau Moyen-âge, tant dans la pensée intellectuelle que dans l’aide apportée aux Etats en mutation.
Une fois les premiers modèles universitaires mis en place, sur la base d’une activité antérieure, l’Université va se répandre dans tout l’Occident.
Si tout part de Paris et sera par la force des choses « normé » par ce modèle précurseur, Bologne au même moment met en route un ensemble universitaire reposant non sur les maîtres comme à Paris, mais sur les étudiants. Témoignage d’une double réalité naissante qu’il s’agit d’abord d’encadrer (donc d’institutionnaliser) pour de multiples et diverses raisons.
C’est vers la fin du Xième siècle que les principes des universités vont peu à peu voir le jour et être définis. Ce terme de « défini » est important dans un monde où l’écrit prend de plus en plus d’importance, avec une valeur symbolique et juridique normative, sans parler de l’idée de conservation de la pensée qui poussera les universités dont l’enseignement est oral, à poser ses synthèses par écrit.
On le sait, les écoles précèdent largement les universités. Elles en sont du reste le véritable berceau, plus que l’ancêtre. Ce sont des écoles, entendons des maîtres autour desquels se sont rassemblés des élèves, qui se sont rassemblées et organisées en université sur la colline Sainte-Geneviève à Paris.
La tradition des écoles est ancienne, atour des monastères et particulièrement avec la réforme carolingienne qui s’est beaucoup appuyée sur ces foyers d’éruditions et de conservation. Pour autant, dans les centres urbains vont se développer des studiums particuliers avec les ordres mendiants qui sont les ordres forts de ce début de deuxième millénaire. En même temps, dans ces villes existent également des écoles laïques, entendons non tenues par des clercs, mais reprenant sensiblement le même contenu scolaire. Dès l’an mille, se structure l’enseignement classique réparti entre trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) et quadrivium (arithmétique, musique, géométrie et astrologie)
Un maître y donne un enseignement sous forme de dispute, de débat, oral.
Mais deux points, au XIIème siècle vont conduire à la création des universités à partir de ce modèle d’école. Que ce soit à Paris, autour des maitres, ou à Bologne autour des étudiants.
Le premier est associé à l’idée d’une forme de renaissance intellectuelle avec la redécouverte de nombreux textes antiques, une plus large traduction des textes grecs, introduisant massivement les philosophes anciens et par le fait grossissant la place de la philosophie dans l’enseignement, au point de transformer le socle intellectuel sur lequel les études sont construites.
Ainsi un nouveau studium va voir le jour notamment à Paris et Oxford entre la fin du XIIè et le début du XIIIè siècle. Cela ne va, évidemment pas sans crise ni conflits et notamment à Paris où l’évêque, en 1277, condamne 218 propositions enseignées à la faculté parce que inspirées d’Averroès. Evoquons juste le rôle de Saint-Bonaventure, rétif à passer par la philosophie plutôt que par la théologie.
A Paris, ce n’est pas autour de la cathédrale que se développera l’université. Et ce non pas pour des raisons de censure ou de méfiances sulfureusement hérétiques, un des premiers maîtres, Pierre Lombard servira de modèle d’études théologiques jusqu’à saint Thomas d’Aquin. C’est une querelle de personne entre Abélard et l’archidiacre de Notre Dame qui en décidera ainsi.
Abélard en conflit avec l’archidiacre, choisit d’exiler son école hors de la juridiction de son opposant, sur la montagne Sainte Geneviève. De là part l’école de Paris. Milieu du XIIème siècle, les maîtres parisiens vont produire des écrits fondateurs du monde universitaire en codifiant et en posant les canons des savoirs. Ainsi le livre des sentences de Pierre Lombard qui tout en puisant abondamment dans la Bible introduit massivement les Pères de l’Eglise.
A la fin du XIIème les écoles parisiennes débordent de maîtres et d’étudiants, il devient nécessaire de réorganiser tout cela.
Si en 1179, Latran III réaffirme la nature ecclésiale des écoles, entre 1200 et 1231, deux textes majeurs viennent donner un statut juridique au monde universitaire. Et ce statut juridique est capital, car il sera la base de l’indépendance et de la force des universités, comme entité existante.
En 1200 Philippe-Auguste reconnait le privilège du for aux membres des écoles parisiennes. C’est à dire qu’il les soustrait à son autorité juridique pour les placer sous celle de l’Eglise. Mais c’est pour lui l’occasion d’appuyer une institution de renommée internationale dans sa capitale. Ce qui est bon pour son propre prestige.
En 1231, Grégoire IX par la bulle Parens scientarum reconnait les privilèges spécifiques de l’Université de Paris dont une certaine liberté intellectuelle (dans la limite des dogmes !)
A Bologne, c’est dans un univers laïc qu’émerge l’université. Pour diverses raisons les maîtres ne parviennent pas à s’entendre, ce sont donc les étudiants qui se constitueront en entité effective jusqu’à obtenir en 1158 la protection de l’Empereur.
A Paris et Bologne, les modèles sont posés. De là d’autres universités vont voir le jour par le fait des princes (Toulouse par exemple) ou du pape, comme Oxford en 1214.
Il faudra, en revanche, attendre le XIIIème siècle pour que l’université s’organise et se dote de concepts juridiques pour pouvoir se définir. L’université de Paris en est le principal laboratoire.