In hora mortis 2

Gethsemani,    Andrea Mantegna, Padoue, 1459, musée de Tours

L’attitude chrétienne face à la mort selon saint Augustin

Augustin, pour qui le mépris du corps et de la vie en ce monde n’est pas inscrit dans l’essence du christianisme, définit dans ses sermons l’attitude chrétienne face à la mort

St Augustin portrait

– Peur de la mort et amour de la vie

Distinguant amour de la vie terrestre et amour de la vie céleste, il explique que, comme les autres, les martyrs ont éprouvé l’horreur de la mort ; mais « avec un vrai amour, une ferme espérance et une foi authentique », ils ont dépassé la joie de vivre et la peur de mourir, qui est un sentiment naturel. Et quand saint Paul écrit : « Pour moi vivre c’est le Christ et mourir est un gain » (Phil 1, 23), Augustin précise qu’il aspire à l’union au Christ et non à la mort corporelle. Si la mort est un « gain », elle reste une épreuve, dont tout homme, si saint soit-il, souhaite faire l’économie. Il développe ainsi une anthropologie qui revalorise le corps : la peur de la mort provient d’un attachement légitime au corps, dont l’âme regrette d’être séparée.

– Crainte de la mort et foi en la résurrection

Mais il est deux morts : la mort physique, commune à tous, et la mort éternelle, châtiment des pécheurs. L’homme doit craindre la seconde plus que la première, dans l’espoir de la résurrection où il jouira d’une union éternelle de l’âme et d’un corps parfait, le corps spirituel. Cependant le Christ lui-même a éprouvé la peur de la mort, ou du moins de la tristesse, dans son agonie

Padoue, 1459, musée de Tours
Padoue, 1459, musée de Tours

– Peur de la mort et compassion du Christ

Augustin citant les paroles du Christ au Jardin des Oliviers, explique qu’il a voulu montrer que lui-même est passé de la tristesse à l’acceptation de la volonté de Dieu ; en faisant part de sa tristesse, il parle pour les hommes ; c’est une marque de compassion pour la faiblesse constitutive de l’homme face à la mort car l’homme doit conserver espoir en la miséricorde de Dieu. Cette insistance sur la peur du chrétien d’être condamné à cause du trouble qui s’empare de son âme à l’approche de la mort, laisse penser qu’Augustin répond dans ses sermons à une angoisse réelle de ses auditeurs.

– De la peur de la mort à la peur du jugement

De sentiment naturel, la crainte de la mort devient un sentiment religieux quand elle devient peur du jugement. Pour Augustin, le bon chrétien ne peut pas ne pas être inquiet à l’idée du jugement. Il y a tension entre la conscience de ne pas mériter le salut et la confiance la plus grande, la foi la plus sûre, de le recevoir de Dieu, par grâce et miséricorde. Fin IVe-début Ve siècle, la pénitence cesse d’être un recours exceptionnel pour les coupables de péchés graves, pour devenir une attitude spirituelle pour tous, cela débouche sur une pastorale des mourants, car l’état de l’homme à son dernier moment compte.
Certes le baptême efface tous les péchés commis dans le passé et rachète la culpabilité liée au péché originel : ceux qui meurent aussitôt après avoir reçu le baptême quittent la vie sans péchés ; le baptême au lit de mort a été en usage, mais petit à petit on l’a abandonné et on a même baptisé les petits enfants. Le baptême ne détruit pas les concupiscences, ni ne met fin à la fragilité humaine : le baptisé commet chaque jour des péchés, car si l’homme peut éviter les péchés graves, il est impuissant face aux péchés légers, impuissant mais responsable. À l’heure de la mort et du jugement, comment ne serait-il pas saisi de crainte, alors qu’il doit rendre des comptes ? Saisi non de la crainte des châtiments, mais de la crainte d’être séparé de Dieu.

– Mourir en état de pardon

Face à cette crainte légitime et fondée, Augustin répond par l’espérance en la miséricorde divine et la prescription de confesser ses péchés, pour l’obtenir. C’est ce que fait le chrétien par la récitation du pater, c’est le remède de la pénitence quotidienne – clairement distinguée de la pénitence pré-baptismale et de la pénitence canonique pour les fautes graves – : c’est le moyen de vivre en état de pardon : « même si nous ne vivons pas ici-bas sans péché, nous pouvons mourir sans péché » (De la nature et de la grâce, 35, 41). La récitation du pater assure la rémission des péchés légers, ainsi, à l’heure de la mort, le chrétien peut être sans péché, bien qu’il n’ait pas vécu sans péché.
Le chrétien ne peut vivre sans péché, mais grâce à cette pénitence quotidienne – la récitation du pater, en particulier au cours de la messe – il peut ne pas mourir en état de péché. Avouer sa condition de pécheur est tout ce que Dieu demande à l’homme pour lui accorder son pardon, c’est l’exemple du bon larron.

Le bon larron accueilli au Paradis

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Françoise Thelamon

Author: Françoise Thelamon

Agrégée d’Histoire et géographie. docteur es Lettres et ancienne élève de Henri-Irénée Marrou, Françoise Thélamon est professeur émérite en histoire de l'antiquité à l'Université de Rouen. Spécialiste de l'histoire du christianisme et en particulier de Ruffin d'Aquilée, elle est présidente de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Rouen.