De l’oral à l’Ecrit…

De l’oral à l’Ecrit…
    De nos jours oral et écrit vont de pair comme moyens d’expression et de communication. Il est même fréquent de s’interroger sur une concurrence éventuelle entre eux, interrogation sans cesse renouvelée au fur et à mesure de l’évolution des techniques, outils et supports, et de l’usage qui en est fait.
    Par ailleurs il est usuel de dire que, pour l’historien, il n’y a histoire que lorsqu’il dispose de documents écrits, même s’il a accès à d’autres documents : monuments et objets que l’archéologie met au jour, images à interpréter sur de multiples support notamment ; mais à eux seuls ils ne sauraient suffire pour « écrire » l’histoire.

    Des sociétés peuvent fonctionner sans écriture

    Durant des millénaires et de nos jours encore parfois – ou jusqu’il y a peu – certaines sociétés ne pratiquent pas l’écriture. Elles fonctionnent ou ont fonctionné selon une transmission orale de savoirs variés fort complexes : structures de parenté qui situent chacun dans une famille, une lignée, un clan, une tribu, régissant ainsi les relations humaines, mythes et croyances qui permettent d’inscrire la place des humains dans le monde entre bêtes et dieux, de penser leur place dans le cosmos, règles et coutumes structurant les relations sociales. La transmission orale et gestuelle permet d’acquérir les connaissances nécessaires à la vie : techniques de pêche et de chasse, de poterie et de tissage, vertus des plantes « bonnes à manger » ou « bonnes à guérir », autant dire tous les savoirs pour vivre en société, et toutes les données symboliques permettant de penser l’au-delà, la condition mortelle des humains et des animaux, la relation aux esprits, aux dieux auxquels avec lesquels on entretient des relations par des rites soigneusement élaborés au fil du temps.

    Comme ce fut le cas durant des millénaires, une société peut fonctionner dans le temps long sans écriture. La mémoire individuelle et collective, utilisant des techniques de transmission orale assimilées parfois dans le cadre d’une véritable initiation, peut de génération en génération engranger et transmettre ce qui, dans une société donnée, constitue le patrimoine commun des connaissances qui donnent à chacun des clefs pour penser le monde et se penser dans le monde.

    Sainte Catherine D’Alexandrie , Marinari Onorio ( 1627 _ 1715 )

    Recueillir ce que la mémoire individuelle ou collective a gardé et peut transmettre a été de tout temps une nécessité pour lutter contre l’usure du temps et la perte du sens, pour lutter en somme contre le caractère éphémère des êtres humains mortels. A côté de la transmission orale, la mise par écrit y a pourvu, tandis que de nos jours d’autres moyens d’enregistrement sont apparus. Ils permettent d’engranger documents de toute nature, textes, témoignages, expressions de la pensée et émotions, récits et textes divers, et ainsi de les fixer – du moins le croit-on – mais on sait qu’il existe par ailleurs des techniques d’oralité d’une grande fiabilité alors que des documents recopiés au fil des siècles ont pu être modifiés, quand bien même il n’y a pas de volonté de truquage.

    Dans les civilisations antiques du Bassin méditerranéen oral et écrit ont cheminé de pair, à partir du moment où, petit à petit, l’écriture, ou plutôt différents systèmes d’écriture sans lien entre eux, ont été élaborés depuis le IVe millénaire avant notre ère. Ils émergent dans des sociétés en évolution sans invalider pour autant l’oral, non seulement comme premier moyen d’expression de la pensée et des sentiments, mais comme moyen de communication dans de nombreux domaines de la vie.

    Or, des civilisations du passé, nous n’atteignons que ce que l’écrit nous transmet, du moins avant ce passé récent où la parole peut être enregistrée et réécoutée hors contact avec le locuteur qui peut être mort. Dans ce passé lointain qui nous intéresse ici, nous savons qu’il y a d’abord eu expression et transmission orales : ainsi de l’enseignement d’un maître à des disciples, tels Socrate, Jésus ou Bouddha, transmis ensuite à d’autres selon des procédés et techniques d’oralité qu’on cherche alors à découvrir sous des textes finalement mis par écrit. Alors la parole/Parole se fait écriture/Ecriture, se fixe et revêt un autre statut. Or la pérennité de l’écrit peut être aléatoire en raison de la nature des supports, de la mauvaise transmission, de la destruction de civilisations entières. La naissance de l’écriture ne saurait être isolée de l’évolution globale des sociétés.

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Françoise Thelamon

Françoise Thelamon

Agrégée d’Histoire et géographie. docteur es Lettres et ancienne élève de Henri-Irénée Marrou, Françoise Thélamon est professeur émérite en histoire de l'antiquité à l'Université de Rouen. Spécialiste de l'histoire du christianisme et en particulier de Ruffin d'Aquilée, elle est présidente de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Rouen.