De la parole à l’écrit

De la parole à l’écrit

    Parole, mémoire et transmission orale

    Des recherches sur des civilisations authentiquement et exclusivement orales ont montré la stabilité des méthodes de transmission d’un récit originel. Il en va ainsi pour les listes et catalogues : listes généalogiques dans les évangiles par exemple, catalogue des vaisseaux achéens, catalogue troyen des peuples venus combattre à Troie, dans l’Iliade ; ou encore descriptions d’objets qui ont ensuite disparu, de lieux et de paysages. Ces morceaux qui peuvent être fort longs sont une épreuve et une prouesse pour l’aède grec, véritable auteur compositeur ou, par la suite, le rhapsode, simple récitant. Ils témoignent de la capacité à transmettre des éléments très précis.

    Cette transmission orale repose sur la mémoire, faculté qui n’est pas réductible à l’intellection et à la perception bien qu’elle leur soit unie ; faculté inconsciente qui emmagasine les informations et les fait ressurgir au moment voulu, en vertu d’un principe de déclanchement à la fois intellectuel et somatique. Elle est soutenue par un véritable art mnémotechnique qui repose sur des procédés destinés à activer ce processus inconscient par lequel la personne s’abandonne au dynamisme propre de la mémoire et de la remémoration. Au cours de la mémorisation, des éléments de support et d’accrochage de l’attention sont mis en œuvre qui baliseront ensuite l’effort personnel de récitation. Il y avait dans certaines sociétés des « techniciens de la mémoire », voire des professionnels, dont la formation était une initiation, dans d’autres c’est dans le cadre de groupes de disciples que pouvait être intégré et transmis l’enseignement d’un maître ou le récit de ses gesta.

    L’écriture n’est pas un simple progrès technique, mais un phénomène historique

    L’écriture opère une véritable mutation intellectuelle car passer de la transmission orale à l’écrit n’est pas un simple changement de mode de communication ou de stockage du savoir ou de données diverses, mais change aussi la manière de penser, même si les deux formes de transmission persistent parallèlement dans une civilisation donnée.
    Par opposition à la parole émise par le locuteur, le message écrit devient indépendant de celui qui l’émet. Mis en circulation, il est à la disposition de toute personne capable de le lire dans le présent et dans l’avenir, tant que son support n’est pas détruit. Il peut être relu, médité, interprété, mais il est désormais fixé ce qui lui confère durée et densité : les mots ont pris la place des choses. Les mots sont découpés, leur ordre et leurs relations permutables, il peuvent se prêter à diverses combinaisons relevant de la réflexion. L’écriture soutient un nouveau type d’activité intellectuelle, de raisonnement, d’abstraction. Le savoir, dont la transmission est fondée sur l’autonomie du message, peut être mis, au moins théoriquement, à la disposition de tous. Mais tant que le système d’écriture est très complexe, qu’il nécessite un long apprentissage, cette « révolution intellectuelle » ne concerne qu’un petit nombre d’experts et ceux qui les commanditent et/ ou les contrôlent : les scribes, les « lettrés » stricto sensu. Ce fut le cas des systèmes d’écriture antérieurs à l’alphabet, en Egypte comme en Mésopotamie.

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Françoise Thelamon

Françoise Thelamon

Agrégée d’Histoire et géographie. docteur es Lettres et ancienne élève de Henri-Irénée Marrou, Françoise Thélamon est professeur émérite en histoire de l'antiquité à l'Université de Rouen. Spécialiste de l'histoire du christianisme et en particulier de Ruffin d'Aquilée, elle est présidente de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Rouen.