Constantin ou l’idéal du prince chrétien
Si un Français peut dire que Clovis fut le premier roi chrétien, il faut rappeler que le premier souverain chrétien fut Constantin. Empereur, augustus (titre réel), ou roi en grec, c’est grâce au Christ qu’il a remporté la victoire en 312. Il règne alors sur la partie occidentale de l’Empire romain, puis sur sa totalité en 324. Sa conversion ouvre une ère nouvelle : les chrétiens persécutés jusqu’en 311 sont libres d’exercer leur culte puis favorisés, mais l’empereur intervient dans les affaires de l’Église : il réunit les conciles et en fait exécuter les décisions.
Comment formuler une théologie politique pour concevoir cette situation inédite, comment penser le souverain chrétien à la lumière de l’Évangile et à l’aide des catégories philosophiques et rhétoriques de la pensée gréco-romaine ?
Traditionnellement la royauté est un attribut divin qui sacralise l’être humain qui en est investi pour gouverner selon la justice car exercer le pouvoir souverain est imitation de la royauté d’En-Haut. Depuis Isocrate, Platon et Aristote, l’image du souverain idéal est tendue aux rois comme un miroir. Eusèbe de Césarée en dépend quand il formule une théologie du souverain chrétien dans un discours d’éloge lors de la célébration des trente années de règne de Constantin, le 25 juillet 336.
Le Père, Dieu unique et tout puissant, est le Grand Roi, mais il exerce sa royauté par l’intermédiaire du Logos, le Fils, et la royauté sur terre est l’image de la royauté d’En-Haut. Le roi terrestre est inscrit dans cette structure hiérarchique : le Dieu Tout Puissant-Père, le Logos-Fils, l’empereur qui gouverner en imitant l’activité du Logos, son archétype et son modèle.
L’empereur « bien aimé de Dieu » est doté des vertus du bon roi, mais ce sont des charismes qui émanent du Logos, des grâces. Ainsi « formé selon l’image archétypale du Grand Roi … par l’éclat des vertus qui viennent d’elle », il « en a pris la forme dans sa pensée, comme dans un miroir ». Par ses vertus l’empereur est « rendu parfait : il est tempérant, bon, juste, courageux, pieux, aimant Dieu ». La piété est la vertu fondamentale dont découle le bonheur de l’Empire. Il appartient à l’empereur chrétien de promouvoir le culte du vrai Dieu et la vraie doctrine. Selon Eusèbe, Constantin, bien que catéchumène, « exerçait un sacerdoce pour Dieu » en faisant construire des églises, en promouvant par ses lois les mœurs et la foi chrétiennes, et en étant vainqueur de ses passions.
Eusèbe poursuit « en vérité seul ce roi est philosophe, lui qui se connaît lui-même, lui qui a conscience de l’abondance de tous les biens qui du ciel sont répandus sur lui, lui qui manifeste l’auguste dénomination de son pouvoir monarchique par la robe magnifique qu’il porte, lui qui seul est dignement revêtu de la pourpre royale ». Mais Constantin relativise la mise en scène du pouvoir impérial et les insignes de sa fonction : « En vérité, il sourit de son vêtement tissé d’or et brodé de fleurs variées, ainsi que de la pourpre impériale avec le diadème, lui qui, grâce à sa science du divin, se ceint de l’ornement qui convient véritablement à un roi, un vêtement chamarré de tempérance, de justice, de piété et des autres vertus ». Revêtu de la pourpre, mais paré de vertus chrétiennes, l’empereur est situé à sa juste place devant Dieu : celle du serviteur. Il reconnaît avec humilité sa position subalterne. Il sait que ses vertus ne sont pas des mérites personnels mais des grâces, que sa puissance est toute relative.
Souverain chrétien idéal, Constantin reçoit les grâces qui lui permettent de gouverner selon le modèle de son archétype divin. Exalté au-dessus de ses sujets par cette empreinte de la royauté céleste qui le sacralise, il se reconnaît serviteur à l’image du Christ serviteur, et aspire au salut pour lui-même et ses sujets.