Charles et Zita : une fin impériale
‘Depuis mon arrivée au trône, je me suis efforcé sans cesse de faire échapper mes peuples aux horreurs de la guerre, à la déclaration de laquelle je ne porte aucune responsabilité. {…} Toujours rempli, avant comme après, d’un amour immuable pour mes peuples, je ne veux pas que ma personne soit un obstacle à leur libre développement. {…} Je renonce à la part qui me revient dans la conduite des affaires de l’État. Le bonheur de mes peuples a toujours été l’objet de mes souhaits les plus ardents. Seule la paix intérieure peut guérir les blessures de cette guerre.’
Telle est la dernière déclaration du Bienheureux Charles de Habsbourg, en tant qu’empereur d’Autriche-Hongrie. Datée du … 11 novembre 1918, elle met fin à son autorité politique, signe l’arrêt de mort d’une dynastie sept fois centenaire. L’empereur l’a paraphée au crayon, sous la pression fébrile des lâches ministres de paille qui l’entourent, intéressés par leur seule survie politique. Ceux-ci ont largement surestimé l’ampleur de l’insurrection populaire, coupablement minimisé les forces vives favorables au maintient de la double monarchie.
Toujours empereur et impératrice, puisque n’ayant au sens strict du terme pas abdiqué, Charles et Zita vont réagir avec toute la dignité due à leur rang à l’injuste spoliation politique, historique et économique dont ils sont les victimes. Réfugiée au château d’Eckartsau, à une heure de Vienne, la famille impériale se tient à distance du jeu politique de la toute fraîche République de l’Autriche allemande et des tribulations hongroises. Pourtant, sa simple présence dérange. Ses ennemis continuent de la craindre : un geste de l’empereur pourrait suffire à rallier ses nombreux partisans. Il faut mettre la famille impériale hors d’état de nuire. Contraints, Charles et Zita quittent l’Autriche pour la Suisse.
Charles et Zita vont réagir avec toute la dignité due à leur rang à l’injuste spoliation politique, historique et économique dont ils sont les victimes.
De son exil suisse, l’empereur œuvre avec tous les moyens à sa disposition pour le non-rattachement de l’Autriche à l’Allemagne. Avec succès. Privé injustement de son trône, il se dépense sans compter et sans rancœur pour le bien de son peuple, adoptant un attitude dont peu d’hommes politiques de l’époque, et encore moins de la nôtre, peuvent se targuer.
C’est en Hongrie cependant qu’allaient se jouer les heures les plus glorieuses et tragiques de la tentative de restauration. Demeurée royaume sous autorité d’un régent du nom d’Horthy, le retour du Roi y semble envisageable malgré les difficultés posées par l’Entente et par le veto des Alliés. Briand, alors ministre français des affaires étrangères, se dit prêt à s’incliner devant la restauration du trône de Hongrie si il est mis devant le fait accompli. Le pape soutient également l’empereur dans sa volonté de récupérer ce qui est sien. Mais le régent prend goût au pouvoir, à tel point que lorsque Charles vient, seul et par voies détournées, le rencontrer dans ce qui fût son palais de Budapest, Horthy marchande avec lui sa future position dans le royaume restauré, avant de le laisser repartir sur de vagues promesses. L’empereur parti, le Régent renforce et cadenasse encore plus sa position, bien décidé à ne pas lui restituer son dû.
Convaincu d’être responsable devant Dieu du seul pays dans lequel il ait jamais été sacré roi, Charles tentera une dernière fois de reconquérir son trône, assisté cette fois dans sa tâche d’une armée forte de quatre mille hommes, rejointe dans chaque village qu’elle traverse par des volontaires venus grossir ses rangs. Le peuple est resté royaliste : Horthy n’a pour lui que quelques traîtres bien en place dans l’armée de Charles et trois cent étudiants armés à la va-vite. Plus fin que Charles dans l’art de la dissuasion et du louvoiement, Horthy parviendra à semer le trouble dans l’esprit de l’empereur, dont le souci demeure d’éviter les pertes en vies humaines. Il eût suffit d’un ordre d’assaut généralisé de sa part pour que Budapest fût prise en quelques heures. Les escarmouches et attaques de nuit malgré le cessez-le-feu, orchestrées par le régent, auront raison de sa détermination.
Il eût suffit d’un ordre d’assaut généralisé de sa part pour que Budapest fût prise en quelques heures.
La communauté internationale ne veut pas prendre le risque d’une troisième tentative de restauration. La famille impériale est condamnée à l’exil sur l’île de Madère. C’est là, dans le dénuement le plus extrême d’une maison insalubre et humide, que Charles va contracter une pneumonie qui lui sera fatale, faute de soins médicaux prodigués à temps. Après trois semaines d’agonie, l’empereur décède entouré des siens en murmurant : ‘Bon Sauveur, protégez nos enfants chéris {…} Protégez leurs corps et leurs âmes et laissez-les plutôt mourir que de commettre un péché mortel. {…} Mon Jésus, quand tu veux. Jésus’. Nous sommes en 1922. Zita, trente ans, mère de sept enfants et enceinte du huitième, veuve désargentée de l’empereur d’Autriche, porte désormais seule la responsabilité de la continuité de la maison des Habsbourg.
Il faudrait de trop nombreuses lignes pour décrire comme il se doit les soixante-sept années qui suivirent. Soixante-sept années de veuvage pendant lesquelles Zita fût toujours habillée de noir. Soixante-sept années de dévouement à ses enfants, sa famille, son pays. Soixante-sept années de fidélité à la mémoire de son époux, de foi intense et concrète, (avec son oblature au couvent Sainte-Cécile des Bénédictines de Solesmes). Si son Charles est déjà bienheureux, le procès de béatification de Zita est lui aussi ouvert.
Sept années avant sa mort, Zita connût une grande joie : elle pût revenir dans sa partie, sur ses terres d’impératrice et de reine. Le 13 novembre 1982, plus de vingt mille personnes se pressaient autour de la cathédrale de Vienne pour apercevoir une impératrice de 88 ans, bannie de son pays depuis 1919. Comme son mari 67 ans avant elle, Zita s’en est allée entourée des siens et des sacrements. Au crépuscule de son existence, l’impératrice est âgée de 95 ans. Dernière incarnation de l’époque des grands empires et de la grandeur des empires, elle laisse au monde le témoignage éclatant de la noblesse des Habsbourg, de leur foi exemplaire et de leur dévouement hors normes pour le bien commun.
Dernière incarnation de l’époque des grands empires et de la grandeur des empires, elle laisse au monde le témoignage éclatant de la noblesse des Habsbourg.
Charles et Zita n’auront pas connu une fin glorieuse selon les critères de ce monde. Bien mieux que cela, leur fin fût impériale, exprimant dans sa révérence ce que l’empire et la royauté contiennent de plus hautement spirituel.
Gott erhalte, Gott beschütze
Unsern Kaiser, unser Land!
Mächtig durch des Glaubens
Stütze, Führt er uns mit weiser Hand!
Lässt uns seiner Väter Krone
Schirmen wider jeden Feind!
Innig bleibt mit Habsburgs Throne
Österreichs Geschick vereint!
Retrouvez les parties 1 et 2 de notre dossier.
Cet article et l’ensemble du dossier sont extraits de notre livret spécial culture générale histoire pour les préparations aux concours ou simplement pour approfondir