
A elle seule, la fille aînée de Louis XI démentirait le mythe de la femme soumise. Il faut dire que le Moyen-Age, loin d’être la période sombre que la Renaissance pour se rehausser et le XIXème siècle pour se démarquer, nous ont peint est au contraire plein de lumière et, j’ose le dire de liberté. Bien des femmes de cet âge, pour ne parler que la place de la femme, nous montrent que les siècles dits obscures étaient bien plus lumineux que ce que l’Histoire officielle aime à nous dire, à longueur de manuels scolaires. Passée cette introduction volontairement polémique, revenons à Anne de Beaujeau, une des femmes les plus puissantes et les plus discrètes de l’Histoire de France. Un modèle d’autant plus intéressant à observer qu’elle fut l’éducatrice de plusieurs femmes qui compteront dans l’Histoire (Diane de Poitiers, Louise de Savoie mère du futur François Ier ou encore Margueritte d’Autriche), elle qui laissa même un manuel d’éducation des filles de l’aristocratie. Une femme libre qui inspirait le respect, non la crainte au point que l’Europe la surnommait Madame la Grande.
Qui donc est cette figure, à la foi ombre filante et omniprésente de son temps ?
Anne est la fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie. Elle nait en avril 1461 aux Pays-Bas au court d’un voyage de son père. Elle est d’abord fiancée à Nicolas de Lorraine qui décède au bout d’un an. Elle épouse donc, à 12 ans Pierre (35 ans) Seigneur de Beaujeu (capitale historique du Beaujolais) et frère cadet de Jean II de Bourbon. Parmi les nombreux titres qui seront les siens, duchesse de Bourbon, princesse des Dombes, comtesse du Forez, baronne du roannais, et bien d’autres avant même son mariage, elle restera toujours connue sous le nom du plus humble de ses titres, Dame de Beaujeu, parfois Anne de France.
Malade, Louis XI demande que la régence soit exercée, à sa mort conjointement par Anne et son époux Pierre, jusqu’à la majorité de Charles VIII. Elle exercera le pouvoir et une influence directe de 1481 à 1491, date à laquelle sa belle-sœur, Anne de Bretagne, épouse du roi, la fera écarter du pouvoir. La reine, duchesse de Bretagne accepte mal le rattachement de sa province à la couronne par Madame la Grande.
C’est en effet pendant la régence, à l’issue de la Guerre folle que la régente finalise le rattachement de la Bretagne. Cette guerre, dite folle, car menée sans grands espoirs réalistes par des féodaux, dure de 1485 à 1488. Elle n’est pas la première de ce genre de rebellions contre le pouvoir royal. On se souvient de la ligue du Bien public qui troubla le règne de Louis XI. La Guerre folle oppose les armées et intérêts du roi de France aux féodaux, mais aussi à certaines puissances étrangères. Par le traité du Verger du 14 août 1488, Anne de Beaujeu signe à la fois sa victoire et le début du rattachement de la Bretagne dont la première marche est le mariage d’Anne de Bretagne à son frère Charles VIII.
Pendant la guerre des Deux roses en Angleterre, elle soutient Henri Tudor face au roi Richard III. Les troupes qu’elle envoie, assure la victoire d’Henri VII.
A la mort de Jean II de Bourbon, elle obtient pour son mari le duché, héritant ainsi de la plus puissante principauté du Royaume dont elle est régente de fait de 1501 à 1521. Elle est la mère de Suzanne de Bourbon qui épousera Charles de Bourbon, connut dans l’histoire comme le Connétable ayant trahi François Ier. Ecartée du pouvoir en 1491, elle se retire au château ducal de Moulin. De là rayonne une cour rivalisant de grandeur avec celle du roi son frère qui vient souvent prendre conseil auprès de sa sœur avec son épouse.
Femme de gouvernement, femme éclairée, elle laisse deux ouvrages qui en disent long sur sa personne et sur la place des femmes, quoiqu’on en dise, à l’époque. Dans « Enseignement à ma fille », elle pose les bases de l’éducation des filles de l’aristocratie et servira de modèle. On peut en résumer l’esprit, ainsi que sa personnalité par ces mots : La noblesse tient en l’humilité, la douceur et la courtoisie, sans elles, les autres vertus ne valent rien.
Elle écrit également une œuvre littéraire qui se situe au court de la Guerre de Cent ans « Histoire du siège de Brest » qui met en scène ce que peut faire une femme dans une situation critique.
Elle meurt respectée de tous le 14 novembre 1522, laissant le royaume et tout une époque orpheline, entre les mains d’un jeune roi bien éloigné de sa conception de la noblesse et dont elle redoutait l’influence de la mère, Louise de Savoie qui gardait rancune de son éducation autant que de jalousie de sa fortune…
Notre illustration, NOtre dame de Beaujeu, statues des reines, jardin du Luxembourg