311-313 : la reconnaissance de la liberté religieuse dans l’empire romain

311-313 : la reconnaissance de la liberté religieuse dans l’empire romain

En parcourant le Figaro du 13 juin 2016, nous découvrons p. 21, dans la rubrique « ENTRE GUILLEMETS » cette mention : 13 juin 313 : édit de tolérance de l’empereur Constantin, qui autorise le christianisme

En dessous le visage de Constantin d’après semble-t-il une gravure du XIXe s. et, à droite, cette citation de Chateaubriand (qui n’engage que lui) « Avec Constantin se forme l’Eglise proprement dite ».

Tout cela est un peu vite dit et continue de véhiculer la surexploitation de ce qu’on nomme « l’édit de Milan » qui fut fort célébré en 2013 avec tous les lieux communs et l’imprécision que l’on sait. Aussi avons-nous demandé à Françoise Thelamon de préciser pour nos lecteurs ce qu’il en est vraiment.

mannaies rome

L’Empire romain, alors considéré comme universel (oikoumènè), est dirigé à la fin du IIIe siècle par un collège de quatre empereurs, système de gouvernement fort sous-tendu par une idéologie enracinée dans la religion traditionnelle et les valeurs romaines : la tétrarchie.
L’hostilité à l’encontre de ceux qui refusent la religion traditionnelle se traduit par un édit contre les manichéens en 297, puis par des mesures à l’encontre des chrétiens d’autant qu’une forte hostilité à leur égard régnait dans l’intelligentsia païenne. Des mesures frappèrent les militaires qui refusaient de participer aux rites en l’honneur des dieux et des empereurs. En 303-304, quatre édits frappèrent les chrétiens s’en prenant aux fonctionnaires, aux responsables des Églises puis aux simples fidèles : ordre est donné à tous de sacrifier sous peine de condamnation aux travaux forcés puis à mort. La persécution fit de nombreuses victimes particulièrement dans la partie orientale de l’Empire.

En 311, à la veille de sa mort, Galère qui passe pour le plus fanatique et le plus acharné des persécuteurs mit fin à la persécution et octroya aux chrétiens la liberté religieuse.

1. Édit de Galère, 30 avril 311

Le texte nous est parvenu en latin dans Lactance, De la mort des persécuteurs et traduit en grec par Eusèbe de Césarée, dans l’Histoire ecclésiastique.

Décidé par Galère, l’édit est pris au nom des quatre augustes alors co-régnant : Galère, Constantin, Licinius et Maximin Daia dont la mémoire a ensuite été condamnée et le nom effacé.

Il s’agit d’un édit général adressé à tous les habitants de l’Empire.

Les considérants rappellent la politique de persécution et en justifie le bien-fondé : il s’agissait de redresser la situation en imposant à tous le retour aux traditions ancestrales romaines. La persécution s’inscrivait dans la programme politique global de la Tétrarchie. Les chrétiens étaient accusés d’abandon de la religion des ancêtres et d’innovations malencontreuses, d’obstination et de folie. La liberté religieuse n’était pas pensable dans le système politico-religieux romain.

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Mais l’empereur, qui ne regrette rien, fait un constat d’échec. Beaucoup ont été poursuivis, beaucoup ont été frappés : un euphémisme pour évoquer les supplices et mises à mort ! mais ce fut en vain : « un grand nombre persévèrent ».
De ce fait, force est de constater que le pire est arrivé : ces gens ne vénèrent pas les dieux et nous les empêchons de vénérer leur dieu ; stricto sensu ce sont des athées, ce qui fait courir un grave danger à l’État tout entier.
L’existence du dieu des chrétiens n’est pas niée et il faut donc tenir compte aussi de son mécontentement.

L’empereur décide de faire preuve d’indulgence, de clémence, et accorde son pardon. C’est l’éloge des qualités charismatiques du souverain ; elles s’expriment par un acte politique réaliste qui lui vaudra, espère-t-il, la reconnaissance de ses sujets.

La décision est « qu’à nouveau ils puissent être chrétiens et rebâtir leurs lieux de culte » : par cet édit la liberté religieuse, à la fois liberté de conscience, de croyance et de culte est reconnue. La religion chrétienne est désormais licite, légale, sous réserve de respecter l’ordre public.

Les chrétiens ne sont plus des athées et même il leur est fait obligation de « prier leur dieu pour notre salut, celui de l’État et le leur, afin que l’intégrité de l’État soit rétablie partout et qu’ils puissent vivre en sécurité dans leurs foyers ». Le dieu des chrétiens est ainsi intégré aux dieux protecteurs de l’Empire ; il convient de se le concilier pour le bien de tous. Les chrétiens bénéficient désormais d’un statut analogue à celui des juifs. Comme tous ils doivent prier pour le salut commun.

Notons que la liberté religieuse ne va pas jusqu’à la liberté de ne pas croire et de ne pas prier, c’était pratiquement inconcevable dans une culture antique.

2. L’entrevue de Milan et le mandatum de Nicomédie de 313

Galère mourut quelques jours après son édit. Celui-ci fut appliqué par Constantin et Licinius, mais la persécution continua en Orient, domaine de Maximin Daia, que les deux autres augustes combattirent. Ils se rencontrèrent à Milan en février 313, se mirent d’accord sur leur domaine respectif et sur une politique commune de tolérance religieuse accompagnée de mesures concrètes concernant les chrétiens et l’exercice de leur culte. Entre temps Constantin avait fait à titre personnel le choix du christianisme et s’était mis sous la protection du Christ.

Le texte issu de l’entrevue de Milan est connu par le mandatum promulgué par Licinius à Nicomédie le 13 juin 313 sous la forme d’une lettre aux gouverneurs de province ; il a été transmis par Lactance et Eusèbe.

Il va plus loin que l’édit de Galère dans l’affirmation de la liberté religieuse : le choix religieux relève de « la raison et de la volonté de chacun de s’occuper des choses divines chacun selon sa préférence » ; les Augustes rappellent l’édit de Galère en faveur des chrétiens.

Parmi les attendus notons que le respect dû à la divinité est chose essentielle dans l’intérêt de l’État. La liberté religieuse accordée à tous, en particulier aux chrétiens, vise, par le moyen de la liberté de culte, à se concilier « ce qu’il y a de divin au céleste séjour ». On ne saurait trouver formule plus vague et plus consensuelle : elle postule que chacun admet l’existence de la divinité, un seul Dieu pour les uns, des divinités multiples pour les autres, à une époque où beaucoup voyaient dans les dieux des manifestations diverses de la divinité, voire d’un dieu lointain qu’on ne pouvait atteindre.
Confirmant l’édit de Galère, la mesure concerne en particulier les chrétiens : « que ne soit refusée à personne la liberté de suivre et de choisir l’observance ou la religion des chrétiens », puis de façon plus large il est ajouté « qu’à chacun soit accordée la liberté de donner son adhésion réfléchie à la religion qu’il estime lui être utile ». Explicitement le choix religieux est reconnu comme relevant de la décision de chacun éclairée par la raison ; ainsi pour le choix du christianisme, il est question ensuite de « la libre détermination de garder la religion des chrétiens ».
La mesure ne concerne pas seulement les chrétiens mais tous les citoyens de l’Empire : « aux autres aussi qui le veulent, est accordé le pouvoir de suivre leur observance et leur religion » et encore « chacun a le pouvoir de choisir et de pratiquer la religion qu’il veut », et il s’agit de ne « restreindre pour personne aucun rite ni culte ».

Les décisions prises à Milan, dans la ligne de l’édit de Galère, constituent une innovation qui va à l’encontre de l’unanimité de religion jusqu’alors considérée comme ciment du système politico-religieux dans une société antique. La notion de liberté religieuse est intégrée et devient même la solution pour obtenir protection et bénédiction de « la divinité » qui n’est pas davantage précisée.

Conclusion

En 311-313, la liberté religieuse est reconnue dans le monde romain où l’émergence d’une religion monothéiste et exclusive, non ethnique, avait posé un grave problème à l’État. Même si les chrétiens avaient toujours proclamé leur loyauté, leur refus de participer au culte traditionnel fut, pendant plusieurs siècles, inacceptable.
Leur détermination, leur choix d’une religion où les rites sont l’expression d’une foi, leur résistance lors de la plus cruelle des persécutions, conduisirent un empereur réaliste à leur reconnaître une liberté de choix religieux et d’exercice du culte ; cette liberté fut peu après reconnue à tous. Cela implique une évolution dans les mentalités : la reconnaissance de l’autonomie de la personne considérée comme apte à faire un choix religieux ; et il est admis que ce choix relève de la conscience, de la raison et de la volonté de chacun.
Mais il demeure la nécessité que tous les membres de cette vaste communauté humaine que constitue l’Empire adhèrent à une religion, vénèrent « la divinité » en vue d’assurer le salut commun. S’il y a liberté de culte, il y a en même temps obligation de culte « en sorte que ce qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice à nous-mêmes et à tous ceux qui sont sous notre autorité ». La liberté religieuse n’implique pas la liberté de ne pratiquer aucun culte.
La liberté religieuse même reconnue à tous n’implique pas un changement radical des mentalités et des conceptions ; il n’y a pas de séparation du politique et du religieux. Chacun demeure responsable de cette pax deorum nécessaire au salut de la cité des hommes.

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Françoise Thelamon

Françoise Thelamon

Agrégée d’Histoire et géographie. docteur es Lettres et ancienne élève de Henri-Irénée Marrou, Françoise Thélamon est professeur émérite en histoire de l'antiquité à l'Université de Rouen. Spécialiste de l'histoire du christianisme et en particulier de Ruffin d'Aquilée, elle est présidente de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Rouen.