Piété et passion selon Bach à Belle-Île
D’une église Saint-Nicolas à l’autre, de Leipzig à Sauzon, la Passion selon saint Jean de Bach poursuit sa route presque triomphale à travers les âges. Indémodée, quoi que remise au goût du jour après de longues années d’oubli, cette pièce novatrice, voire anti conformiste à l’époque, s’est hier soir encore offert un franc succès. Pour sa quatrième représentation sur l’Île, après avoir été donnée parfois à guichet fermé, la pièce emblématique du cantor de la Nikolaikirche fut servie avec éclat et même piété par le chœur et l’orchestre du festival.
L’occasion pour le public d’entendre une des spécificités de cette aventure belle-îloise, son chœur composé presqu’exclusivement d’amateurs, insulaires ayant travaillé tout l’hiver. La qualité vocale et artistique de ces mois de travail ferait pâlir d’envie bien des chefs de chœurs, y compris professionnels. C’est pourtant toujours une gageure de donner du baroque avec un ensemble amateur. Si les airs sont dans toutes les têtes, si les accords faits d’équilibre et d’harmonie sont d’apparence facile, le style et notamment les fugues recèlent en revanche une redoutable difficulté que la distance esthétique (de l’autre côté de l’hémistiche de nos oreilles plus habituées à Brahms) ne fait qu’accentuer. C’est pourtant avec brio que le chœur s’en est sorti. Une homogénéité qui révèle tout autant le travail que la connivence s’est dégagée tout du long, admirablement reliée par le récit porté de bout en bout avec fermeté et profondeur par Tyler Nelson. Le ténor, sans jamais fléchir, tint en haleine un public littéralement transporté au cœur du drame, vivant la passion au rythme du Christ lui-même. Pourtant, l’acoustique un rien métallique ne se prêtait guère à la précision rigoureuse du baroque. Et si les solistes ont plutôt bien su tirer profit de l’église, le chœur fut englouti dans une pâte certes homogène, mais beaucoup plus faite pour Brahms que pour Bach. D’une manière générale, et si nous exceptions Tyler Nelson et le court « Jesus from Nazareth » du Chœur, l’esprit de l’interprétation fut un rien plus romantique que baroque. La distinction précise des notes se confondait dans les legati trop nombreux, sans pour autant perdre la force du basso continuo. Mais dans ce basso le reste se tissait plutôt maladroitement, l’écriture baroque supportant mal l’expression romantique.
A côté de cette restriction que d’aucun pourrait considérer d’esthète, les qualités vocales du chœur, l’expressivité de l’orchestre ont su conduire le public vers un final en ovation appuyée et largement méritée.
Après un long parcours au cœur même de l’Évangile, c’est bien une invitation spirituelle que lançait hier soir avec sa simplicité coutumière Philip Walsh, répondant en cela au souhait initial du composteur théologien qu’était Bach. Et il ne s’en fallut de peu que le public, selon la coutume de l’époque, n’entonne à son tour les chorals, s’il n’eut été lui-même happé par la contemplation qui imprégna, le temps d’un concert, tout un public ému et saisi.
A leur tour, le chef et son ensemble pouvaient dire « tout est accompli » puisque de concert ils ont fait leur le vœu formulé par Philip Walsh
« Nous recevons la liberté seulement grâce à la captivité, la souffrance et la mort du Christ. En ce sens, les événements humains et le projet divin sont liés dans cette création exceptionnelle, en dépit de leur opposition que la musique transforme et transcende. »
Cyril Brun