Les sirènes lyriques de Belle-Île-en-Mer
Alors que le festival de Belle-Île-en-mer touche à sa fin, c’est avec grande joie que nous avons pu constater le franc succès de cette nouvelle édition, après les inévitables flottements dus à la période de transition entre l’ancienne et la nouvelle équipe. Un public venu en nombre, des artistes fidèles, pour un esprit familial jamais démenti, les ingrédients qui font du traditionnel festival lyrique de Belle-Île sont plus que jamais au rendez-vous. Le Palais, Sauzon, Bangor ou encore Locmaria n’ont eu d’autre choix cette année encore que de se laisser envoûter des plus fines voix de sirènes de la baie de Quiberon.
Après le passage remarqué de Nemanja Radulovic qui revisita de son violon enchanteur les déjà féériques Quatre Saisons de Vivaldi, ce fut le tour des différents solistes de la saison de donner le meilleur d’eux-mêmes pour un concert ad libitum, pensé par eux-mêmes. Légère infidélité aux « passions baroques » de cette année, nos jeunes talents nous ont régalé d’un programme éclectique autour des célèbres valses de Brahms. Accompagnés au piano par le tonique David Jackson et l’onctueuse Olga Vassileva ou à l’alto chatoyant par Katerina Istomin, huit jeunes artistes, pour la plupart au parcours déjà confirmé, ont donc partagé leur « petites madeleines ».
Sans les citer tous, relevons cependant Tyler Nelson pour son impeccable Danza de Rossini. Une diction fine et précise, jamais heurtée, donnant des ailes à Rossini. Mais c’est dans Il mio tesoro de Don Giovanni qu’il révéla le plus la finesse de sa voix, avec un ensemble de tenues aigues sur le fil du rasoir, en parfait écho aux habituelles fragilités des soprani mozartiennes. La finesse était telle qu’un temps nous avons eu l’impression qu’il manquait naturellement de puissance. Le brio puissant et époustouflant avec lequel il tint le lendemain le récit de la passion selon saint Jean démontra qu’il n’en était rien. Tyler Nelson est incontestablement une des plus belle voix de cette saison. Qualité, expression, finesse, diction, puissance et velours, que manque-t-il à ce jeune homme qui sait prêter sa voix aux styles et aux émotions les plus divers, tout en jouant admirablement avec l’acoustique de la salle ?
Une autre mention pour la profondeur de basse de Brandon Cedel qui nous servit un Aleko aux accents si bien trempés de Rachmaninov que nous aurions cru entendre les frappés du piano habillés de l’âme russe.
Pour rester dans le registre des voix masculines, faisons également la part belle à Peter Tantsits, qui tint la difficile partie du Christ au Mont des Oliviers de Beethoven. Bien que le ténor ait mis un certain temps à entrer dans l’œuvre, il finit cependant par nous transporter au rythme même des sueurs du héros christique, selon la volonté du maître de Bonn. Emotion, force et détresse furent portées à bout de voix avec un tel souffle que tout le public mit sa respiration haletante au diapason du chanteur.
Les valses de Brahms furent, pour leur part, plus inégales. Si les deux premières manquèrent de profondeur et même de vie, les quatre dernières allièrent la grâce à l’émotion, la légèreté à la gravité pour nous donner de vivre un intense moment de plénitude à peine dépassé en charge émotive par le trio Gestillte Sehnsucht de Brahms.
Au final une fort agréable soirée, faite d’émotion, d’humour et d’amitié. Quelle connivence entre ces jeunes artistes qui pour certains se retrouvent d’années en années sur cette île aux milles surprises ! Quelle simplicité avec le public qui les a adoptés, à moins que ce ne soit l’inverse, tant à Belle-Île la musique s’écrit en note d’amitié, sur une partition de qualité.
Cyril Brun