Y aura-t-il une Fleur pour sauver Apollon ?

Y aura-t-il une Fleur pour sauver Apollon ?

Que font nos élus des chefs d’œuvre de notre patrimoine ?

 Les bains d’Apollon ou Apollon servi par les Nymphes,est l’un des plus  grands chefs-d’œuvre de la sculpture, que l’on doit au talent de Girardon et  Regnaudin, sculpteurs de Louis XIV.

Ce groupe se trouvait naguère dans un bosquet de Versailles, à l’air libre : Apollon  et ses nymphes avaient beaucoup souffert des vandales  mais aussi des restaurations  ratées dans les années 70. Apollon avait perdu son pied, son nez et les doigts de la main gauche – ce qui pour jouer de la lyre est handicapant. La matière même des sculptures était fragilisée. Il y a quelques années, la sage décision fut prise d’exposer sur place des moulages.
Désormais, les Bains d’Apollon allaient pouvoir prendre une retraite méritée et être présentés, chouchoutés,  en intérieur et donc  définitivement sauvegardés pour les générations à venir…

C’était sans compter  sur l’établissement public qui gère Versailles et  que d’aucuns surnomment « Versailles-land ». Sans compter  aussi sur  France museum, une sorte de club MED  pour œuvres d’art, qui organise des tours du monde pour les seniors que sont nos chefs d’œuvre reclus dans
nos  musées poussiéreux. Grâce à celui-ci, nos vieilleries prennent l’avion, le bateau, voient  du pays : notre patrimoine artistique vit  enfin comme nous ou presque, comme ceux qui ont encore les moyens de partir en vacances.

En effet,  il semblerait qu’en « haut lieu » on ait décidé d’allonger le délai d’obtention de la retraite, même pour les statues : Apollon et ses nymphes rempilent. Cet automne 2014 les verra, et pour un an, à Arras, dans le cadre de l’exposition « Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre », ensuite, ne les arrêtons pas en si bon chemin, Apollon et sa suite se produiront au Louvre Abu Dhabi, dès l’ouverture fin 2015, pendant au moins un an. Bien sûr, vous avez compris, ce ne sont pas les moulages qui vont voyager mais les originaux qui sont déjà en piteux état !

  il semblerait qu’en « haut lieu » on ait décidé d’allonger le délai d’obtention de la retraite, même pour les statues

Didier Rykner, sur le site La tribune de l’Art  (http://www.latribunedelart.com/des-specialistes-de-la-sculpture-confirment-les-dangers-du-transport-des-bains-d-apollon),  publie  un texte signé de quatre spécialistes mondialement connus, dont trois  étrangers  : le Dr Charles Avery (ancien conservateur au Victoria & Albert Museum), Sir Timothy Clifford (ancien directeur des National  Galleries of Scotland), le Dr Jennifer Montagu (spécialiste de la sculpture baroque) et François Souchal (professeur honoraire à l’Université, auteur  d’un ouvrage faisant autorité sur la sculpture française sous Louis XIV). Ce texte est sans ambiguïté : « Ces  œuvres fragiles ne sont pas des objets de musée que l’on peut  transporter… En tant que spécialistes de la sculpture, nous condamnons  fermement ces déplacements des Bains d’Apollon qui constituent une grave menace pour leur conservation. L’objectif premier des musées est de  protéger leurs œuvres. Il est donc indigne de la part des musées  français de mettre ainsi en danger, pour des objectifs sans rapport avec  l’histoire de l’art, l’un des groupes les plus importants de la  statuaire mondiale. »
Jean-René Gaborit, qui n’est pas n’importe qui non plus, (ancien  directeur du département des sculptures du Musée du Louvre),  énumère les différents risques que vont courir les Bains d’Apollon. Les marbres sont  fragiles, cassants et difficiles à réparer : « Un fil noir finit  toujours par apparaître sur les cassures des marbres, quelle que soit la  technique de restauration utilisée». Ce sont des accidents irréparables  au sens propre, contrairement aux plâtres et aux terres cuites qui se restaurent plus facilement. Plus un marbre est gros, plus le risque  d’accident augmente : or ici il s’agit d’un groupe de 7 sculptures  (Versailles-land a du les confondre avec une de ces installations d’AC[1] qui se font gloire d’être éphémère). Elles subiront : un démontage à  Versailles, remontage à Arras, démontage à Arras, remontage à Abu Dhabi,  démontage à Abu Dhabi et montage à Versailles : le casse du siècle est assuré ! Ajoutez  le transport avec des  vibrations qui seront de toutes façons un risque : si le déplacement vers Arras se fera sans doute par camion, donc debout, l’avion impose parfois de transporter les œuvres  couchées. Or redresser une grande sculpture est en soi un acte risqué précise  Mr Gaborit.

Didier Ryckner, fort de son expérience, rappelle que « Les commissions de prêts donnent en général, dès qu’il y a une volonté politique, leur  acquiescement à presque tout »,  autant dire à n’importe quoi. C’est l’irresponsabilité générale, en l’occurrence  il n’y aura pas même pas  d’assurance qui couvre les dégâts : l’Etat est son propre assureur… le citoyen n’aura plus que ses yeux pour pleurer et nos décideurs nous diront « c’est de la faute à pas de chance ». Si Apollon expire dans l’aventure, on aura droit au sempiternel « C’est pas moi, c’est l’autre 
qui a pris la décision
»…

Il y a une solution, que personne n’évoque,  pour responsabiliser les  hommes de l’art quand ils sont aux mains de l’Etat et pour empêcher le  personnel politique de jouer avec le patrimoine.*Il faut que ces  décideurs soient responsables sur leurs deniers, sur leur fortune  personnelle*. Que  Catherine Pégard,  présidente  de l’établissement  public de Versailles, que Béatrix Saule, la directrice des collections,  et leur ministre de tutelle Fleur Pellerin, s’engagent noir sur blanc à  quitter leurs fonctions,  s’il arrive malheur à Apollon et à  indemniser  non seulement le peuple français mais l’humanité,  car un chef d’oeuvre   est universel : soit un euro symbolique mais multiplié par 7 milliards  d’êtres humains, c’est le prix minimum d’un chef d’oeuvre de l’humanité.  Et là nous verrons si ces dames sont toujours aussi enthousiastes pour  jouer avec le bien commun.

Cette mesure redorerait le blason d’un  gouvernement beaucoup plus  affaibli par l’affaire Thévenoud, (c’est-à-dire par l’étalage d’un  sentiment d’impunité et d’irresponsabilité ) que par le livre de l’ex  première Dame. Il en serait fini de la tournée des grands ducs pour les  pièces insignes de notre patrimoine. La nouvelle ministre va-t-elle  cautionner une catastrophe annoncée et décidée sous la ministre  précédente ? Y aura-t-il une Fleur pour sauver Apollon ?

 



[1] Art Contemporain

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Christine Sourgins

Christine Sourgins

Titulaire d'une maîtrise d'histoire et diplômée de l'Ecole du Louvre (muséologie), Christine Sourgins, historienne de l’art, a été conférencière au musée du Louvre et a travaillé aux services pédagogiques des musées de la Ville de Paris. Spécialiste de l'art contemporain, elle exerce des responsabilités pédagogiques et culturelles en milieu associatif et collabore aux revues Conflits actuels, Liberté politique, Catholica, Verso, Les Lettres françaises. Elle est l'auteur des «Mirages de l'art contemporain» (La Table ronde). http://www.sourgins.fr/