Cigarettes électroniques : entre espoirs et craintes (1)

Cigarettes électroniques : entre espoirs et craintes (1)

Le tabac : première cause de mort évitable !

Il n’est pas de bonnes idées qui ne puissent être détournées au point de virer à l’aigre ; c’est une préoccupation qui déjà se fait jour avec la cigarette électronique.

Il s’agit, à l’origine, d’une très bonne idée. Rappelons que ces « vapoteurs », conçus à partir de l’idée princeps d’un pharmacien chinois, Hon Lik, dont le père serait mort victime du tabac, vaporisent de la nicotine lors de chaque aspiration par le chauffage électrique (pile) d’une résistance. Ce faisant, l’utilisateur inhale essentiellement de la nicotine, objet de son addiction, mais aussi une faible quantité de substances autres (acétaldéhyde, acrolëine… issues de la décomposition thermique du polyéthylène glycol qui constitue le solvant de cette nicotine, mais ces substances sont en bien plus faible quantité que dans la fumée d’une cigarette (or « le poison est dans la dose »).

Les recharges de nicotine sont de différents dosages ; elles peuvent ainsi être mises à profit dans une démarche de réduction des doses, pour aller très progressivement vers l’abstinence. Certes, l’usage du vapoteur entretient la gestuelle du fumeur, ainsi que l’arrivée de vapeurs chaudes dans la bouche, facteurs qui contribuent, sur un mode Pavlovien, à l’entretien de la dépendance à la nicotine, qui constitue l’élément majeur de la tabaco-dépendance.

La toxicité de la cigarette de tabac s’exprime par 73 000 morts chaque année en France. Elle tue 20 fois plus que les accidents de la route, objets de toute la sollicitude ministérielle. Chaque jour 200 morts du tabac sont à déplorer ; comme si un Boeing, occupé par 200 fumeurs, se crashait quotidiennement, dans un parfait silence médiatique. Le tabac est la première cause de mort évitable. Un fumeur sur deux mourra d’une cause en relation avec sa consommation tabagique. De plus, ceux qui y survivent présentent fréquemment des troubles susceptibles d’altérer gravement la qualité de leur survie (amputation pour artérite, insuffisance cardiaque post-infarctus, aphonie, dysphonie d’un cancer du larynx, séquelle neurologique d’un accident vasculaire cérébral, dyspnée en relation avec une bronchopathie chronique obstructive,…). Ces rappels amenant les fumeurs au bord de la suffocation, j’arrête là d’évoquer ce désastre. C’est pourtant l’illustration parfaite des méfaits d’une drogue licite, consommée, de ce fait, par quatorze millions de nos concitoyens, qui ne parviennent pas à s’en détacher.
La toxicité de la cigarette est largement liée aux goudrons cancérigènes, issus de la combustion du végétal (cancers de la sphère O.R.L. et de l’appareil broncho-pulmonaire). Notons que l’ajout de la résine du cannabis (« shit » = « haschich »), pratiquée par plus d’un million et demi de fumeurs, en élevant de 200°C la température de combustion, produit 7 fois plus de goudrons cancérigènes que le seul tabac et également davantage d’oxyde de carbone. Néanmoins ils s’en trouvent, à l’heure où l’on réalise l’étendue du drame tabagique, pour prôner la dépénalisation et bientôt la légalisation du cannabis (cf. le projet de loi présenté au Sénat par Europe Ecologie – les Verts), comme s’ils rêvaient d’ajouter à la toxicité du tabac, dont on est incapable d’enrayer la consommation, celle encore plus grande du cannabis…fin de cette apostille.

La toxicité du tabac est aussi celle de l’oxyde de carbone / monoxyde de carbone / CO qui, dans le gaz des cokeries d’autrefois, était à l’origine des graves (et souvent mortelles) intoxications collectives. Il frappe encore aujourd’hui quand des poêles ont un tirage défectueux. Cet oxyde de carbone est un poison pour l’hémoglobine, le pigment de nos globules rouges, préposé au transfert de l’oxygène depuis les poumons qui le capte, aux tissus qui le consomment. L’oxyde de carbone, en se liant à l’hémoglobine d’une façon irréversible, empêche l’oxygène d’être transporté.

La toxicité du tabac est enfin celle de la nicotine, qui reproduit au niveau de certains récepteurs (les récepteurs nicotiniques) les effets d’un neuromédiateur – l‘acétylcholine. Au niveau du corps la nicotine affecte spécialement le fonctionnement de l’appareil cardio-vasculaire, déterminant une vasoconstriction (artérites, angor, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, baisse de la perfusion du placenta chez la felle enceinte…). Au niveau cérébral, la nicotine stimule le « système de récompense », le « circuit du plaisir », ce qui aboutit à une libération accrue de dopamine, dans une toute petite, mais très importante (fonctionnellement) structure du cerveau, le noyau accumbens (ou striatum ventral). A cette libération de dopamine est associée une sensation de plaisir. Quand cette libération cesse, survient alors le déplaisir, la frustration, l’irritation, l’incomplétude et même des troubles qui, s’apparentent au syndrome dépressif, à une dépression de l’humeur, à « la déprime ». Pour pallier ces troubles le fumeur a sous la main, dans sa poche ou son sac, le paquet de cigarettes d’où, à intervalles réguliers, il extrait sa petite dose de mort, pour produire ces voluptueuses volutes tueuses.
Pour accroître la libération de dopamine, à partir de laquelle s’édifie l’addiction, les fabricants de cigarettes ajoutent au tabac des substances (chromones et autres) dont la combustion donne naissance à des aldéhydes volatiles (formol, acétaldéhyde, propionaldéhyde, acroléïne….) qui inhibent l’enzyme de dégradation de le dopamine (Monoamine oxydase = MAO des types A et B). Ces aldéhydes volatiles ferment, en quelque sorte, les portes de l’écluse dopamine ; le niveau de cette dopamine s’élève derrière les portes de l’écluse. Alors apparait la nicotine, qui ouvre les portes de ces écluses, libérant une quantité plus importante de dopamine, que ne l’aurait fait la seule nicotine. Le plaisir éprouvé est plus grand, mais le déplaisir consécutif l’est aussi, tout comme le besoin d’accéder plus vite à une autre cigarette pour le dissiper.

La composition des recharges de nicotine pourrait permettre de ne pas produire d’aldéhydes volatiles, ces « boosters » d’accrochage à la nicotine. C’est la société Imperial tobacco qui a acquis le brevet de la e-cigarette ; cette société n’a aucune raison objective d’aider le public à diminuer la consommation de ce qui fait sa fortune, alors qu’ ils font montre, par ailleurs de tant de subtilité pour l’accroître.

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Jean Costentin

Jean Costentin

Pharmacologue réputé et membre des Académies de Médecine et de Pharmacie, Jean Costentin préside le Centre national de Prévention, d’Etudes et de Recherche sur les Toxicomanies (CNPERT). Il a dans sa carrière dirigé l’unité de neuropsychopharmacologie du CNRS (1984-2008), ainsi que l’unité de neurobiologie clinique du CHU de Rouen (1999-2011), ville où il a également longtemps enseigné comme professeur à la faculté de médecine et de pharmacie. Spécialiste des addictions, Il est l'auteur de "Halte au cannabis !" (Odile Jacob, 2006) et "Les Médicaments du cerveau" (Odile Jacob, 1993).