Le vin une saveur subjective, une qualité objective !
Avez-vous remarqué que, sauf quelques rares muscats, le vin n’a jamais le goût du raisin ? On y trouve de la violette, de la griotte, de la banane, de la fraise, du buis, de la poire, du citron vert, du pamplemousse, du clou de girofle, de l’acacia, de la prune, des fruits secs ou confits, de beure, de la et la liste est loin d’être complète. Pour autant je me suis limité là aux seuls arômes dits primaires ou secondaires, ceux qui ne viennent que du raisin et de leur transformation. Nous pourrions ajouter les arômes plus complexes, issus du vieillissement ou du bois et la palette s’enrichirait de cuir, de jus de viande, de truffe, de café et autres aromes de torréfactions et balsamiques.
Bien des néophytes ont du mal à retrouver ces saveurs et à les distinguer les unes des autres dans le parfum global du vin. C’est normal d’abord parce que le nez, comme le goût s’éduquent. Pour reconnaitre un parfum, il faut l’avoir en mémoire. Mais qui a déjà senti du buis ? Qui se rappelle ce que sent la pivoine ? Qui irait imaginer qu’un vin puisse avoir le goût de la brioche ? Pourtant, tout cela est bien contenu dans le vin soit à l’état moléculaire dans le cépage, soit par l’action des levures sur les molécules modifiant l’une ou l’autre non pas en molécule de brioche, bien entendu, mais en une molécule à la saveur proche de la brioche. Nos sens, olfactifs surtout, vont transmettre à notre cerveau une information que celui-ci va rapprocher au plus près de ce qu’il a en mémoire, en l’occurrence la brioche.
Mais si la difficulté vient, d’une part d’avoir en mémoire les odeurs nécessaires à l’identification et d’autre part de se laisser éveiller par elle, (on peut refuser de se laisser inonder par le café en se disant qu’il est impossible que le vin ait un goût de café par exemple), il se trouvent que certaines molécules transformées portent en elle des rappels variés. Ainsi en est-il de la banane et du vernis à ongle…
Il y a donc dans le vin une part objective, mais aussi subjective qui va dépendre de notre rapport mémoriel et sensoriel au vin. Dans la même veine, le vin nous paraîtra plus agréable ou désagréable en fonction des émotions liées à notre mémoire olfactive. La douceur de la cuisine de grand-mère embaumant la pâte de coing rendra évidement plus émotionnel notre dégustation d’un vin à base de Chenin.
Plus objectif en revanche est le rapport à la texture du vin que l’on peut plus facilement quantifier sur une échelle du plus souple au plus dur, du plus léger au plus lourd. La subjectivité demeure ici quant à notre goût. Certain préfèreront un vin plus droit d’autres plus souple, ou plus lourd en alcool. Pour autant, le vin est équilibré quand toutes ses composantes s’harmonisent l’une ne dominant pas l’autre. Sur ce point d’équilibre (différent entre le blanc et le rouge) certains vins vont tirer vers l’acidité, d’autres vers la structure tannique ou le degré d’alcool. Une trop forte prépondérance de l’un ou l’autre rendra le vin déséquilibré voire désagréable, trop acide, trop lourd, trop rêche. Mais à partir de ce point, un vin peut être équilibré avec une légère tension (vers l’acidité) c’est ce qu’on recherche pour la plupart des vins blancs. Dans cette fourchette entre l’équilibre et la tension, non seulement notre goût personnel viendra apporter sa subjectivité, mais aussi le moment de la dégustation et notre humeur et bien entendu le plat qui l’accompagne ou qu’il accompagne. Il en va de même de l’équilibre vers l’alcool ou la structure.
Si notre plaisir sera éminemment subjectif, la qualité du vin, elle, sera d’abord objective. Mais un vin objectivement qualitatif reste la base d’un vin subjectivement apprécié.
Ainsi donc, sur la base d’un vin de qualité, notre subjectivité restera unique et notre histoire mémorielle, l’éducation de notre goût, le moment de la dégustation feront de notre gorgée quelque chose de personnel et parfois même d’incommunicable. Vous ressentirez peut-être au premier nez des arômes que d’autres n’auront qu’en bouche et réciproquement. Ce qui pour vous se rapprochera du vernis à ongle, sera pour d’autre plutôt de la banane. Cela ne veut pas dire qu’on puisse librement tout imaginer dans un vin. La violette dans un vin blanc est assez peu probable, tout comme le citron vert dans un vin rouge. Ces parfums, viennent bien de molécules réellement contenues dans le vin. Mais outre ces fossés infranchissables, ne vous laissez pas décontenancer si vous ne trouvez pas tout ou les mêmes choses que votre voisin dans le vin. C’est assez normal. Il y a une grande subjectivité dans la dégustation.
D’ailleurs les œnologues ne font pas part de leurs impressions subjectives lorsqu’ils jugent un vin, mais de leurs décryptages objectifs. On ne leur demande pas plus, car ce serait vous imposer leur goût et vous priver de votre rapport intime avec le vin.
Alors comment vous laisser envahir par le vin, enivrer sans les effets secondaires du degré d’alcool ? Contemplez, humez, goutez et chacune de ces trois étapes laissez le vin parcourir votre mémoire et faire remonter dans son lit vos souvenirs olfactifs et gustatifs. Ce sera parfois extrêmement fugace et une impression de connu non identifié vous poussera à reprendre une gorgée. Ce sera parfois immédiat et vous serez submergez par l’émotion ainsi revécue.
Si d’habitude c’est de saveurs et de plats que nous espérons vous mettre le vin à la bouche, cette fois-ci c’est pour un voyage au cœur de vous-même en gondole sur les rios du bon vin.