EXPO Rennes – Mysticisme ou mystification?

EXPO Rennes – Mysticisme ou mystification?

La Nona Ora sera le clou de l’exposition que propose le diocèse de Rennes en hommage à Jean-Paul II du 8 juin au 8 juillet à la basilique Saint-Aubin. Cette œuvre est la propriété du milliardaire breton François Pinault, président du Stade Rennais, elle sera exposée au musée des Beaux-Arts. Qu’est-ce donc que cette « Nona Ora » ? Une œuvre qu’on nous présente comme celle de l’artiste d’AC, l’Art dit contemporain, Maurizio Cattelan, et qui représente le Pape Jean-Paul II foudroyé par une météorite, (autrement dit, puni car un don du ciel !) ? Cependant, devant la qualité du visage de cire de Jean-Paul II, les défenseurs de l’AC jubilent : voilà un plasticien d’AC qui a du métier !

Passons sur la naïveté, pour ne pas dire la crédulité de certains catholiques qui y voient une œuvre mystique « en phase avec notre temps où le successeur de St Pierre porte le poids du monde » sic. En fait de mysticisme, on est plus proche de la mystification mais pour en avoir la démonstration il faut aller, non à Rennes, mais au Château de Vascoeuil en Normandie (à 20 kms de Rouen), cette demeure où vécu Michelet héberge jusqu’ au 29 juin, de quoi ébranler les certitudes de l’esthétiquement correct, l’AC. Pourtant le nom de l’exposant, Daniel Druet, est loin d’être aussi célèbre que ses œuvres qui ont, mondialement, défrayé la chronique.

 

il a réalisé un vrai-faux Cattelan qui représente l’artiste d’AC en coucou, un drôle d’oiseau qui fait son nid dans celui des autres, façon de suggérer que l’artiste d’AC fait son œuvre dans l’œuvre d’un autre…

A Vascoeuil, vous attend une révélation : l’artiste américain Maurizio Cattelan est loin d’avoir réalisé lui-même son célèbre « Jean-Paul II écrasé par une météorite », car cette œuvre est bien signée…Daniel Druet. Hé oui, Cattelan semble avoir quelques difficultés à tenir ne serait-ce qu’un crayon et si « son » œuvre est « belle », tant le visage exprime une souffrance digne, c’est qu’elle a été réalisé par Daniel Druet, (deux fois Grand Prix de Rome de Sculpture et lauréat-pensionnaire de la Casa Vélasquez à Madrid). Druet a portraituré nombre de célébrités de Coluche à Mitterrand, en passant par Lino Ventura, Dutourd ou Anouar El Sadate… Problème : à la différence du XIXème siècle, peu de gens commandent aujourd’hui leur buste et un portraitiste doit donc avoir un second métier, par exemple réaliser des mannequins de cire pour le musée Grévin, ce qui fut le cas de Daniel Druet qui en créa 200 ! Or un jour, Cattelan lui commanda un Jean-Paul II ; Druet livra une effigie du Pape comme il l’aurait fait pour Grévin. Cattelan s’en empara, la flanqua par terre et rajouta une grosse pierre… De la collaboration Druet/Cattelan naîtra de 1999 à 2006, d’autres pièces, toutes connues comme l’œuvre du « génial » Cattelan : une grand-mère par ci, un Kennedy par là et le petit Him, ce si troublant Hitler en premier communiant…

Question : qui des deux est vraiment l’artiste ? Celui qui passe commande, finance et assure la promotion ou celui qui travaille de ses mains ? Dans le monde de l’AC ne compte et n’a droit aux projecteurs que le conceptuel ; le praticien reste un « vulgaire » manuel. Ainsi Daniel Druet, vu les conceptions américaines du droit d’auteur, n’arriva pas à obtenir du Guggenheim la mention de sa paternité lors de la rétrospective Cattelan. Il a tiré plastiquement et malicieusement les leçons de sa collaboration avec ce dernier : il a réalisé un vrai-faux Cattelan qui représente l’artiste d’AC en coucou, un drôle d’oiseau qui fait son nid dans celui des autres, façon de suggérer que l’artiste d’AC fait son œuvre dans l’œuvre d’un autre…

A Vascoeuil, vous pourrez voir également l’œuvre personnelle du sculpteur Daniel Druet mais aussi la réédition de toutes les pièces qu’il a produites pour Cattelan : vous pourrez même les acheter, à des prix raisonnables, comparés aux millions d’euros qui « consacrent » la valeur des Druet-Catellan en salle des ventes. Il va sans dire que ces fortes rétributions vont au « concepteur » aux dépens du « réalisateur »…Pour la petite histoire : le fisc français a eu du mal à comprendre la différence des revenus de l’un par rapport à l’autre. L’Etat, par son administration des contributions, serait donc enclin à reconnaître que Druet est bien le (co)auteur des pièces de Cattelan ! Le musée des Beaux-Arts et le diocèse de Rennes auront-ils l’honnêteté de le signaler ?

 

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Christine Sourgins

Christine Sourgins

Titulaire d'une maîtrise d'histoire et diplômée de l'Ecole du Louvre (muséologie), Christine Sourgins, historienne de l’art, a été conférencière au musée du Louvre et a travaillé aux services pédagogiques des musées de la Ville de Paris. Spécialiste de l'art contemporain, elle exerce des responsabilités pédagogiques et culturelles en milieu associatif et collabore aux revues Conflits actuels, Liberté politique, Catholica, Verso, Les Lettres françaises. Elle est l'auteur des «Mirages de l'art contemporain» (La Table ronde). http://www.sourgins.fr/