Cyrano de Bergerac, de l’Histoire au Roman

Cyrano de Bergerac, de l’Histoire au Roman

Le truculent personnage qu’Edmond Rostand fit rentrer dans la postérité et qui a donné le nom à votre media préféré mérite bien un article.

En effet, peut-être l’ignoriez-vous mais c’est un pittoresque cadet ayant réellement existé qui inspira Edmond Rostand pour la pièce qui fit son triomphe. Si l’auteur de Cyrano de Bergerac fut fidèle sur les principaux faits illustrant la vie du Cyrano historique, plusieurs aspects furent ajoutés, donnant une profondeur et une richesse supplémentaire au Cyrano romanesque.

edmond rostand

UNE VIE DE CAPE ET D’EPEES

Hercule Savinien de Cyrano naquit le 6 mars 1619 à Paris. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas gascon : Bergerac, la terre familiale, se situe en Ile de France, plus précisément dans la vallée de la Chevreuse, à Saint-Forget. Il ne rajouta « de Bergerac » à sa signature que tardivement, alors que les terres en question avaient déjà été vendues par son père. Rejeton d’une vieille famille parisienne, il a quatre frères et une sœur. A l’âge de six ans, il vécut avec sa famille sur leurs terres de Bergerac, puis se rend à Paris pour étudier au collège de Beauvais. Ses études achevées, il mena une vie de bâton de chaise, ponctuée de jeux, bagarres et  cabarets.

Las de la vie désordonnée de son fils, Abel Cyrano lui coupa alors les vivres, ce qui poussa Savinien, alors âgé de 19 ans,  à s’engager,  avec son ami de toujours Henry Le Bret, dans la compagnie du baron  Alexandre Carbon de Casteljaloux, qui appartenait au Régiment des Gardes du Roi. Il n’était donc pas un cadet de Gascogne, comme Rostand l’a imaginé – mais le nombre important de gascons présents dans cette compagnie est très probablement à l’origine de cette invention.

Fier et prompt à se battre, Cyrano de Savinien n’hésite pas à provoquer en duel, ce qui le rendit assez célèbre à l’époque. Il combattit lors de la guerre de Trente ans opposant français et espagnols, ce qui lui valut d’être blessé une première fois au siège de Mouzon, puis une seconde fois lors du siège d’Arras en 1940. Cette dernière blessure le contraignit à mettre fin à sa carrière militaire et à retourner à la vie civile.

Il aurait alors mis en fuite une centaine de spadassins lors d’un combat à la Porte de Nesle pour défendre son ami poète François de Lignière. Il fit deux morts, sept blessés et dispersa les autres assaillants. Cet exploit le rendit célèbre et suscita l’admiration du maréchal de Grassion qui lui offrit sa protection, qu’il refusa, voulant rester indépendant.

CYRANO L’ECRIVAIN

Outre cet exploit, il reprit ses études et suivit des cours de philosophie de Pierre Gassendi,  chanoine catholique qui essayait de concilier l’atomisme épicurien avec le christianisme.

Sa fortune paternelle étant déclinante, il se mit à écrire. Il s’essaya à plusieurs genres : pamphlets, mazarinades (1649), comédies (le Pédant Joué), tragédies (la Mort d’Agrippine, 1654 qui fit scandale en raison d’un vers supposé blasphématoire),  lettres et même un roman : l’Autre monde en 1657. Ce roman, qui se sépare en deux tomes fut considéré comme une des premières œuvres de science-fiction. Il y décrit des voyages fictifs vers les astres et y exprime sa philosophie matérialiste. Il était également en train d’écrire un traité de physique lorsqu’il mourut.

En 1650, il rompit avec ses amis pour se mettre au service de Mazarin contre les frondeurs. En 1654, il reçoit une poutre sur la tête. Accident ou attentat délibéré ? La question reste entière. Il mourut chrétiennement le 23 juillet 1655 chez son cousin Pierre de Cyrano à Sannois. On ignore s’il mourut des suites de sa blessure ou de la syphilis, maladie dont il souffrait depuis longtemps. Il fut inhumé dans l’église de Sannois.

Nombre de personnages de la pièce furent également des personnages historiques : Christian fut inspiré par le comte Christophe de Champagne baron de Neuvillette qui épousa Madeleine Robineau et mourut au siège d’Arras ; le Comte de Guiche, qui était le neveu de Richelieu, Henri Le Bret, qui fut l’ami d’enfance de Savinien, Cyprien de Ragueneau fut effectivement pâtissier puis moucheur de chandelles chez Molière, Montfleury était un acteur célèbre de l’hôtel de Bourgogne. Quant à son héroïne, Roxane, Edmond Rostand s’inspira de deux femmes : la cousine de Cyrano qui épousa le comte Christophe, Madeleine Robin, et Marie Robineau, précieuse et amie de Mme de Scudéry, connue sous le nom de Roxane. Ainsi, la Roxane de Rostand, prénommée Madeleine Robin est un mélange de ces deux personnes.

DU PERSONNAGE HISTORIQUE AU PERSONNAGE ROMANESQUE

Ainsi, Savinien Cyrano fut un homme fantasque et original. Penseur et philosophe, il fut surtout connu pour sa pièce Le Pédant Joué, ainsi que comme précurseur de la science-fiction, avec son roman l’Autre Monde. Ce fut un homme épris de liberté : refusant des protections offertes pour n’être l’obligé de personne, n’hésitant pas à remettre en question la pensée reçue. Philosophe, il était passionné par les sciences : il développa ainsi dans son roman L’Autre Monde de nombreuses théories scientifiques. Il fut qualifié de « plus grand philosophe hermétique des Temps moderne » par le célèbre alchimiste de l’époque, Fulcanelli.

 

Dans sa pièce, Edmond Rostand retransmet bien  la silhouette de ce bretteur et homme de lettres haut en couleurs, entre son goût pour le duel, les traits d’esprit et le nez imposant, dont il n’était pas peu fier. Néanmoins, comme tout auteur, Edmond Rostand a enjolivé le personnage. Il en a effacé les côtés philosophe, athée, matérialiste, ainsi que son désintérêt pour la « délicatesse de cœur », au profit d’un Cyrano poète, vouant un amour intense et platonique à sa cousine Roxane. Il était bien conscient de ses anachronismes, comme il l’a répondu aux critiques : « Soyez convaincu qu’il n’y a pas, dans Cyrano, un anachronisme que je ne connaisse parfaitement. […] Un poète n’est inexact que lorsqu’il le veut. »

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Certes le Cyrano aujourd’hui connu par le grand public n’est pas exactement conforme à sa réalité historique. Mais s’il est intéressant de connaitre le personnage dans sa vérité, peut-on reprocher à Edmond Rostand de nous avoir proposé un homme de panache, poète au grand cœur et aux traits d’esprit comme héros ?

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Anne-Laure Debaecker

Anne-Laure Debaecker

Diplômée en management des organisations culturelles à l'Université de Paris-Dauphine, Anne-Laure Debaecker est journaliste. Elle collabore en particulier au Figaro et à Cyrano.