Quand l’école de la République fabriquait des soldats

Quand l’école de la République fabriquait des soldats

L’influence de différents groupes de pressions (« lobbys ») et écoles de pensée politiques sur l’école de la République ne date pas d’hier et en était même le but premier à sa création. En ce centenaire de la Grande Guerre, l’exemple de l’école de la IIIe République d’avant ce « suicide de l’Europe », comme l’appelait Benoît XV, est assez frappant. Une génération entière d’élèves français fut en effet « formatée » pour qu’un jour leur patrie prenne sa revanche sur l’Allemagne réunifiée.

L’ÉCOLE ET JULES FERRY

La carrière politique de Jules Ferry, héraut des « Opportunistes » comme ils se nommaient eux-mêmes (le terme n’est pas péjoratif à l’époque : il signifie faire ce qu’il faut lorsque c’est nécessaire…), est marquée par deux grands aspects essentiels : sa politique scolaire et sa politique coloniale.

On dit en effet souvent de ses lois scolaires (prises au début des années 1880), qu’elles ont rendues l’école « Gratuite, Obligatoire et Laïque ». Gratuite et Obligatoire, l’école l’était déjà (très théoriquement) depuis Louis XIV. Laïque, en revanche, elle l’était bien moins. L’objectif de Jules Ferry était d’empêcher l’Eglise d’avoir le quasi-monopole de l’instruction, ce qui avait été jusque là son rôle.

Le but final était d’éduquer dans le respect de la République et de ses valeurs un peuple qui ne lui vouait pas alors un culte particulier (les premières élections de la IIIe République avaient étés remportées par les monarchistes). La patrie, la république, l’empire colonial et le respect de certaines valeurs de « morale républicaine » étaient donc inculquées aux enfants.

Timbre à l’effigie de Jules Ferry (1951)

Néanmoins, c’est la politique coloniale de « Ferry-Tonkin » qui lui vaudra sa chute. Alors que J.Ferry considère qu’« il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles de civiliser les races inférieures », une petite minorité à gauche de la gauche (menée par G.Clemenceau) et les nationalistes (le nationalisme est en réalité originaire de la gauche mais sera classé à droite suite à l’affaire Dreyfus)  voient dans le soutien allemand à cette politique la preuve qu’elle est destinée à éloigner la France de la reconquête de l’Alsace et d’une partie de la Moselle, arrachées à elle par l’Allemagne en 1870 (« J’ai perdu deux sœurs, déclare crûment Paul Déroulède, et vous m’offrez vingt nègres !»).

C’est donc dans un contexte d’antigermanisme forcené et aux cris d’ «À bas le prussien ! »  que tombe le créateur de l’école de la République.

UN ANTIGERMANISME OMNIPRESENT

L’antigermanisme et l’idée de Renvanche qu’il sous-tend, est littéralement omniprésent dans l’instruction des jeunes enfants. En Histoire tout d’abord, bien sûr, le manuel Lavisse (du nom de son auteur) insiste sur l’ennemi héréditaire allemand, celui d’Iéna, de la Guerre 1870, qu’on appelle parfois, par métonymie, « le prussien »…

Mais la propagande ne s’arrête pas là. La génération d’écoliers dont nous parlons a appris à lire sur le livre d’Augustine Fouillé « Le Tour de France par deux enfants : Devoir et Patrie », édité donc des centaines de fois et vendu à des millions d’exemplaires. Ce livre fait faire le tour de France à deux enfants, aiguisant ainsi leur sentiment patriotique, accompagné d’une instruction civique, morale (et religieuse jusqu’en 1906…). Ces deux enfants sont également deux lorrains, qui fuient les persécutions prussiennes

En Géographie, l’Alsace et la Lorraine sont présentées comme des parties naturelle de la France et mises en valeur, souvent dans une couleur spéciale, « afin de ne pas les confondre avec l’Allemagne »…

L’Alsace et la Lorraine sont placées dans « l’Hexagone français »…

Nul domaine n’est épargné. En rédaction, les élèves peuvent joindre la culture coloniale à la culture revanchiste en planchant sur le sujet suivant :

« Un Jeune soldat est rapatrié du Tonkin après y avoir été blessé. A l’Hôpital de Toulon, il apprend qu’il doit être amputé d’une jambe. Il vaut mieux cela que d’être Prussien, répond-il au médecin. Commentez sa réaction. »

Les instituteurs veillent à transmettre cette culture dans presque tous les domaines. Des « hussards noirs de la république », comme les appelle Péguy, apprennent ainsi à des enfants de 8 à 12 ans cette chanson de P. Déroulède :

♫ Eh bien moi, je le hais, ce peuple de Vandales

De reitres, de bourreaux, -tous ces noms sont les siens ;

Je le hais, je le maudit dans leurs races fatales ;

           La Prusse et les Prussiens ! ♫

Vaste programme.

« NOUS VOULONS POUR L’ÉCOLE DES FUSILS »

Cette éducation revanchiste atteint son paroxysme avec une véritable dérive militariste (tempérée par l’affaire Dreyfus) : certains écoliers apprennent désormais à lire avec un Nouvel Alphabet militaire, dont les exercices portent sur les différentes armes ou unités que l’on peut rencontrer dans une armée…

La création de Bataillons scolaires un peu partout en France en est une nouvelle illustration : des élèves de primaires sont entrainés aux exercices militaires avec des fusils factices. Cette pratique est officialisée en 1882, avec l’introduction de la Gymnastique et des exercices militaires comme matières dans les écoles de garçons…

Un exemple de Bataillon scolaire

A cette occasion, le ministre de l’instruction publique Paul Bert fit ce discours aux instituteurs :

« Nous voulons pour l’école des fusils … oui, le fusil, le petit fusil que l’enfant apprendra à manier des l’école, dont l’usage deviendra pour lui chose instructive, qu’il n’oubliera plus, et qu’il n’aura pas besoin de réapprendre plus tard. Car ce petit enfant, souvenez-vous en, c’est le citoyen de l’avenir et, dans tout citoyen, il doit y avoir un soldat, et un soldat toujours prêt.».

En effet, les exercices de tirs deviennent obligatoires dès 14 ans, âge qui sera ensuite abaissé à 11 ans.

Même si les bataillons scolaires ont étés dissous en 1892, on comprend mieux pourquoi la génération passée par l’école républicaine entre 1880 et 1905 partira sûr d’elle-même, « la fleur au fusil » dit-on et trouvera finalement le courage de rester 4 ans dans l’enfer des tranchées.

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Gabriel de Feydeau

Etudiant en droit à l'université Panthéon-Assas