Dossier De l’oral à l’écrit (partie 4): Jusqu’à l’alphabet grec d’aujourd’hui

I. Un système simple : l’alphabet

C’est l’aboutissement, au cours du IIe millénaire, dans la région du Levant, d’une évolution qui conduit à un système phonétique consonantique qui isole les sons de base (de 20 à 30), adaptable à de nombreuses langues différentes. Les documents les plus anciens furent trouvé en 1905 dans des mines de turquoise du Sinaï exploitées par les Egyptiens avec des ouvriers et des fonctionnaires sémites, du XVIIIe au XIe siècle av. J.-C. Ils présentent un alphabet de 25 à 30 signes ; chaque symbole a la valeur phonétique de l’initiale de son nom en langue sémite, ainsi une tête de bœuf aleph note la lettre a, une maison bayit la lettre b, une porte dalt le d. Parallèlement des documents  ont été trouvés à Ugarit/Ras Shamra, sur la côte de la Syrie du sud, lors de fouilles en 1928. Il s’agit de tablettes en cunéiforme babylonien (XVe-XIe s.) mais avec des signes simplifiés formant un alphabet de 29 signes. En Palestine des inscriptions proto-cananéennes sont à l’origine, par schématisation progressive des signes, de la mise au point de l’alphabet phénicien ; il s’agit d’un alphabet proto-sémitique qui est à la racine des écritures nord-arabes et sud-arabes de l’Arabie Heureuse dont dérive l’écriture éthiopienne.

Vers 1000 av. notre ère l’alphabet phénicien est attesté sur le sarcophage du roi Ahirom de Byblos. Il se diffuse et se différencie en alphabet hébreu, araméen dont sont issus l’hébreu carré actuellement en usage et l’écriture arabe par l’intermédiaire du nabatéen ou du syriaque, et certaines écritures de l’Inde du nord, ou encore le punique (en usage à Carthage). Il a été repris par les Grecs au Xe ou au IXe-VIIIe s. en utilisant des signes correspondant à des sons que leur langue ne possédait pas pour noter les voyelle, donnant ainsi le premier alphabet qui note tous les sons d’une langue. Les alphabets étrusque, latin et cyrillique en découlent.

Purement phonétique, l’alphabet isole tous les sons de la langue ; c’est un système simple, facile à maîtriser, potentiellement accessible à tout le monde et utilisable pour différentes langues.

II. Dans le domaine créto-grec : des syllabaires perdus

L’alphabet a été tardivement adapté pour noter du grec dans des régions où au IIe millénaire des écritures syllabiques avaient eu cours.

–          En Crète : le linéaire A

Les premières écritures apparaissent en Crète à la fin du IIIe millénaire. Il s’agit d’abord d’une écriture dite «  hiéroglyphique » attestée par peu de documents à Cnossos et Mallia et dont le déchiffrement est impossible ; il s’agirait d’arithmogrammes à usage administratif dans une langue inconnue ; elle disparaît v. 1700. Le « mystérieux » disque de Phaistos qui porte 242 signes est peut-être plus tardif.

Répandu dans toute la Crète, ainsi qu’à Kéos et Mélos, le linéaire A est un syllabaire qui note une langue qui n’est pas du grec ; il semble avoir eu une fonction administrative. Il n’est pas déchiffré

–          En Grèce : le linéaire B

C’est un syllabaire en usage à l’époque mycénienne (2ème moitié du IIe millénaire) en Grèce continentale,  à Thèbes, Mycènes, Pylos mais aussi en Crète à Cnossos. Il comporte 87 signes dont 64 issus du linéaire A. Il a été déchiffré en 1952 par Michael Ventris qui a posé contre toute attente l’hypothèse que la langue notée était du grec, et cette hypothèse s’est révélée exacte. Il était utilisé sur des tablettes d’argile crue séchées pour l’administration palatiale. Cuites dans l’incendie du palais, les tablettes trouvées à Pylos au sud-est du Péloponnèse constituent 95 % des documents conservés ; il s’agit de documents comptables . Le linéaire B disparaît avec la destruction des palais et de cette organisation socio-politique, lors des bouleversements des XIIIe-XIIe s. (dits « arrivée des Doriens »). Il y a alors perte de l’écriture durant plusieurs siècles ce qui ne veut pas dire perte de la mémoire.

L’adaptation au grec de l’alphabet phénicien plusieurs siècles plus tard est attestée par quelques inscriptions d’Athènes et de Pithécusses (Ischia) et elles transcrivent des poèmes. On débat du lieu et des motifs de l’adoption-adaptation de l’alphabet phénicien. En Crète peut-être où le terme phoinikistas signifie scribe ; en Eubée dont les marchands commerçaient dans le Levant : Hérodote ne dit-il pas que Cadmos, frère d’Europe, fondateur de Thèbes, a introduit l’écriture en Grèce ; dans l’île de Pithécusses fréquentée par des Eubéens et des Phéniciens. L’alphabet comportant la notation des voyelles a servi de base, chaque contrée l’adaptant à ses besoins.  Au cours du Ve siècle, Athènes adopte l’alphabet ionien qui distingue certaines voyelles longues et brèves et possède des signes pour les lettres composées. C’est l’alphabet grec actuel.

 

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Françoise Thelamon

Françoise Thelamon

Agrégée d’Histoire et géographie. docteur es Lettres et ancienne élève de Henri-Irénée Marrou, Françoise Thélamon est professeur émérite en histoire de l'antiquité à l'Université de Rouen. Spécialiste de l'histoire du christianisme et en particulier de Ruffin d'Aquilée, elle est présidente de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Rouen.